La pénible invasion des assiettes en ardoise

Vous avez remarqué comme l'ardoise s'est propagée dans les restaurants de tous types ? Pas seulement pour y inscrire le menu, comme dans les brasseries et autres restos branchouilles. Non, l'ardoise est aussi sur la table, elle sert d'assiette à tous les plats et se décline à toutes les sauces. Elle s'est démultipliée. Les restaurateurs auraient-ils tous cassé leurs assiettes ?

Rassurez-vous, il n'y a pas eu de casse en cuisine, pas plus qu'il n'y a pénurie de porcelaine. Voici encore un étrange phénomène qui trouve son explication dans une célèbre dictature : la mode. Un petit génie a eu l'idée de présenter son plat sur une ardoise, quelqu'un s'est extasié devant la création et l'idée a fait le tour du monde.

Car les professionnels aiment bien copier ce qui marche. C'est plus rassurant que de tenter autre chose. Si ça se trouve, la présentation à l'ardoise est née par inadvertance, comme la tarte Tatin ou la ganache au chocolat. Un chef pressé et à court d'assiette a peut-être pris un morceau d'ardoise à la hâte pour y dresser son plat tandis qu'un serveur distrait a embarqué le tout en salle avant de se rendre compte de son erreur. Trop tard. La magie a encore frappé. Le hasard fait bien les choses.

A moins que la Coopérative Nationale de l'Ardoise ait trouvé là le bon filon pour écouler un surplus d'exploitation, à l'instar des producteurs de Reblochon, véritables créateurs de la tartiflette qui nous imposaient là leur odorant fromage. Ou peut-être encore est-ce l'initiative d'un fabriquant d'assiettes en schiste, qui a l'issue d'une réunion marketing fumeuse a décidé de prospecter les restaurants du pays pour les convaincre de la beauté et de l'originalité de ses produits. Le machiavélisme au service de l'écoulement des stocks.

Cessons là toute paranoïa et voyons la réalité des choses : une assiette en ardoise, c'est le retour à l'âge de pierre, un aspect authentique pour une cuisine rassurante, à l'heure du fait-maison et du grand retour des traditions culinaires. C'est aussi la recherche esthétique poussée jusqu'à l'évidence : les aliments se détachent si bien sur un fond sombre. C'est original, c'est joli et en plus ça passe au lave-vaisselle.

Pourtant, manger sur une ardoise n'est pas l'expérience la plus réjouissante qui soit. Les aliments ont vite tendance à déborder et piquer la fourchette ou tailler au couteau sur l'ardoise peut créer des sensations désagréables.

Reste à savoir combien de temps va durer la tendance de l'ardoise. Car si la mode perdure sur les toits des maisons bretonnes, il y a fort à parier qu'on va nous trouver une nouvelle lubie pour présenter les recettes, après les mini-cocottes et les assiettes creuses. Mais où ira loger le médaillon de foie gras et la terrine de campagne ? Sur quel support le chef déposera-t-il sa ligne de paprika et son jet de balsamique ? Pour l'instant, l'ardoise a ringardisé l'assiette en porcelaine, au point de squatter toutes les tables, du bistrot de quartier au restaurant étoilé. Les cuisiniers se lasseront-ils avant nous ?

Publié le 18/06/2015

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