La bouillabaisse, un plat de pêcheurs devenu icône gastronomique
Vous voici à Marseille, la cité aux mille visages, coiffée par la cathédrale La Major d'un côté et baignée par la Méditerranée de l'autre. Sur le pittoresque Vieux-Port, vous vous baladez au milieu des étals de poissons tout frais débarqués par les pêcheurs. La myriade de leurs couleurs et l'odeur de marée vous enivrent. Et si on mangeait une bonne bouillabaisse ? Vous partez arpenter les ruelles et l'arôme de ce plat vous monte aux narines. Il ne vous reste plus qu'à choisir l'établissement qui vous ouvre le plus l'appétit. Mais auparavant, parlons un peu de cet emblématique plat marseillais ! Retour sur le parcours d'une soupe pas comme les autres.
La bouillabaisse vient de loin
Depuis l'Antiquité, les déchets de poissons ou les poissons de roche sont pour ainsi dire "recyclés" dans des soupes. C'était notamment une pratique courante dans la Grèce antique et à Rome. La bouillabaisse a été manifestement introduite par les Grecs dès la construction de la ville, sous forme de soupe de poisson, dans laquelle n'était pas encore introduite la rouille. Et il faut dire que lorsque Marseille s'en empara, elle sut la sublimer jusqu'à en faire un emblème totalement lié à la cité phocéenne. Remercions donc les Hellènes pour leur venue !
Puristes et progressistes s'affrontent régulièrement pour en déterminer la composition, mais, traditionnelle ou modernisée, elle chatouille agréablement nos narines puis nos papilles.
La grande histoire d'amour entre Marseille et sa bouillabaisse
La bouillabaisse était un plat populaire, réalisé par les pêcheurs à partir du poisson invendu ou du poisson de roche, non comestible autrement. Les échanges avec les marins étrangers ont permis d'enrichir la recette avec des épices, comme le safran. Le terme "bouillabaisse" proviendrait d'une contraction des mots "bouillir" et "abaisser", qui fait référence à la technique de cuisson à feu doux.
Tellement appréciée dans la cité phocéenne, elle en est peu à peu devenue l'emblème, avec ses calanques, bien sûr. Mais attention ! Ce symbole identitaire doit être cuisiné de façon très précise. Même le service obéit à un code rigoureux auquel il convient de ne pas déroger : on sert le bouillon en premier, puis les poissons, la rouille et le bouillon épicé.
Une icône en évolution : le défi de l'authenticité
Il y a débat sur ce qui fait une "vraie" bouillabaisse. Par exemple, doit-on inclure uniquement des poissons de Méditerranée, à l'instar du rouget, de la rascasse rouge, de la vive, du saint-pierre, du congre (dont le nom local est le fielas), du grondin (nommé localement la galinette) de la daurade, de la vieille, du merlan et de la baudroie (ou lotte) ? Ou, peut-on prendre des libertés ?
Ce plat emblématique est servi dans nombre de restaurants du Vieux-Port, chacun arrangeant la bouillabaisse « à sa sauce »... c'est le cas de le dire. Or, en 1980, 17 restaurateurs, mécontents du fait que la recette traditionnelle ne soit pas toujours respectée, ont créé une Charte de la Bouillabaisse, qui donne les précisions suivantes :
- Les poissons de base indispensables sont la rascasse, le fielas, la vive araignée, la rascasse blanche et le chapon.
- Les autres ingrédients acceptés sont : les pommes de terre, les tomates, le fenouil, les oignons, l'ail, le persil, l'huile d'olive, le sel, le poivre et le safran.
- La bouillabaisse doit être impérativement servie avec sa sauce, la rouille, accompagnée d'aïoli et de croûtons frottés à l'ail.
Cette charte établit donc les ingrédients réglementaires, mais aussi les règles régissant le service.
De la modeste table du pêcheur à celles de grands chefs étoilés
Malgré cette charte créée en vue de préserver le patrimoine marseillais, de grands chefs étoilés ont bravé l'interdit, élaborant leur propre version. Et, avouons-le, bouillabaisse traditionnelle ou non, cela vaut parfois le détour.
Le chef Gérald Passedat figure parmi ces audacieux, n'hésitant pas à réinventer ce plat emblématique avec une touche raffinée. Il enrichit sa bouillabaisse de coquillages, de poitrine fumée et d'artichauts, offrant ainsi une symphonie de saveurs aussi maritime que végétale.
De son côté, le chef Lionel Lévi sublime la tradition en offrant quatre interprétations de la bouillabaisse, mêlant respect des origines et audace contemporaine. Il s'illustre notamment avec sa célèbre bouillabaisse déstructurée. Plutôt que de servir le plat dans sa forme traditionnelle, il en sublime chaque élément : un bouillon léger et émulsionné, les poissons délicatement cuits à part, et la rouille en accompagnement, pour une dégustation où chaque saveur s'exprime pleinement.
Naturellement, ces réinventions sont parfois vues comme une trahison par certains puristes marseillais.
La bouillabaisse dans la culture populaire
Nombreux sont les touristes qui viennent à Marseille juste pour goûter la bouillabaisse. Elle est omniprésente dans les guides touristiques et citée comme une expérience culinaire incontournable. Plus qu'un plat, c'est un patrimoine. Elle incarne l'âme de Marseille, entre simplicité, convivialité et excellence culinaire.
Elle est largement présente dans l'art et la littérature. Au cinéma, Fernandel immortalise la bouillabaisse dans plusieurs films, notamment "La cuisine au beurre" de Gilles Grangier, où elle représente le lien avec la Provence, opposée aux plats nordiques et "La femme du boulanger" de Marcel Pagnol. Fernandel a même interprété une chanson intitulée "La Bouillabaisse". Dans "Fanny" de Pagnol, la jeune femme rappelle avec humour que le monde associe Marseille à la bouillabaisse et l'aïoli. Même Hermione, l'amie de Harry Potter, est conquise par ce plat, qu'elle cite comme l'un de ses préférés dans "Harry Potter et la Coupe de Feu". Enfin, "8523 Bouillabaisse" est le nom d'un astéroïde !
Alors, si nous vous avons donné l'eau à la bouche, il ne vous reste plus qu'à programmer une virée dans la cité provençale de Marseille, afin de goûter à ce délicieux mets emblématique !