Ces chefs qui ont décidé de rendre leurs étoiles
Créé en 1900, le Guide Michelin était à l'origine pensé comme un support publicitaire. Assez vite toutefois, il a mué en un guide de plus en plus complet, incluant un classement des hôtels dès 1904. C'est en 1931 que furent créées les fameuses étoiles telles qu'on les connaît aujourd'hui et depuis, le guide rouge n'a eu de cesse d'étendre son influence tant est si bien qu'il souffle désormais le chaud et le froid sur le monde de la gastronomie.
Figurer dans le Guide Michelin est ainsi devenu synonyme de reconnaissance et d'augmentation de chiffre d'affaires, tandis que perdre une étoile induit stress et déshonneur. Une omnipotence tellement révoltante pour certains qu'ils ont fait le choix drastique de disparaître du célèbre guide.
Maggie et Louis Vaudable
Qui ne connaît pas Maxim's, figure emblématique de l'art de vivre à Paris dès les années 1900 ? Le "restaurant le plus célèbre du monde" a conquis sa troisième étoile Michelin en 1953 sous l'inventivité et le génie du chef Louis Barthe, qui a fait de l'établissement l'un des tous premiers 3 étoiles de France. Il les conservera pendant 24 ans. En 1977, les propriétaires, le couple Vaudable, apprirent que le Guide Michelin s'apprêtait à retirer une étoile au Maxim's. Leur réaction fut toute simple : demander le retrait de leur établissement du livre rouge. Vendu au couturier Pierre Cardin en 1981 par le fils des Vaudable, le Maxim's n'est, aujourd'hui encore, toujours pas dans les adresses du guide. Rancunier, le Michelin ?
Joël Robuchon
Le chef qui a donné envie aux restaurants de remettre la purée de pomme de terre sur leurs cartes a gagné ses deux premières étoiles en 1978. Il en décrochera bien sûr plusieurs autres, mais en 1996, le chef aux multiples distinctions raccroche sa toque. Trop de stress : "je guettais les critiques gastronomiques" confiera-t-il plus tard à l'Express, "il fallait que j'arrête cette vie harassante." A 51 ans, il ferme son restaurant de peur de "finir comme les copains du métier", référence à feux Jacques Pic, Alain Chapel et Jean Troisgros, morts trop tôt selon lui "d'avoir trop tiré sur la corde". Joël Robuchon, élu "cuisinier du siècle", les rejoindra en 2018 à l'âge de 73 ans.
Alain Senderens
En 2005, après avoir maintenu les 3 étoiles du Lucas Carton pendant 20 ans, le chef Alain Senderens le ferme et le remplace par le Senderens. Son objectif ? Démocratiser la (très) belle cuisine du premier en la proposant 3 fois moins cher dans le second, sans pour autant bouder son plaisir. Il se murmure toutefois que, las du dictat des étoiles et ayant entendu qu'il risquait de perdre sa troisième, le regretté chef a pris les devants et coupa l'herbe sous le pied du Guide.
Antoine Westermann
Ce chef décroche la troisième étoile Michelin de son restaurant, Le Buerehiesel, en 1994 en travaillant brillamment les produits du terroir alsacien. Ce restaurant, il en aura été le maître-queue dès ses 23 ans et pourtant, après 13 années à en défendre les étoiles, il demande en 2007 au Guide Michelin de les lui retirer. Antoine Westermann avait en fait à cœur que son fils Eric reprenne le flambeau, sans avoir la pression des étoiles sur les épaules. Un an plus tard cependant, Eric Westermann fait le choix de remettre son legs dans la course aux macarons en décrochant sa première étoile.
Jean-Paul Lacombe
En 1978, du haut de ses 29 ans, il était le plus jeune chef de l'Hexagone à avoir jamais gagné 2 étoiles. Au piano du Léon de Lyon, il a régalé de sa cuisine plusieurs chefs d'État et pourtant, bien que de son propre aveu "la cuisine soit à son meilleur niveau" dans son restaurant, il décide de rendre les étoiles du guide rouge en 2007. Un choix réfléchi : le chef cuisinier voulait transformer son restaurant en brasserie pour une cuisine plus conviviale et accessible. Sans rien changer de ce qui a fait l'excellence de son travail, le chef Lacombe propose désormais au Bistrot de Lyon des formules à moins d'une trentaine d'euros que ne renieraient sûrement pas des présidents.
Olivier Roellinger
Il raconte volontiers que s'il a rendu ses 3 étoiles, ce n'était pas à cause de la pression des visites des inspecteurs du guide rouge. Toujours est-il qu'en 2008, ce chef breton décide de fermer son établissement, la Maison de Bricourt, deux ans seulement après l'obtention de la récompense suprême. En cause, sa condition physique qui, selon lui, s'est détériorée au point de ne plus lui permettre d'assurer son service quotidiennement. Il a ainsi exprimé le désir de "raconter et partager sa cuisine autrement".
Marc Veyrat
Sans doute l'un des chefs les plus énervés contre le Guide Michelin, Marc Veyrat est un habitué du petit livre rouge par lequel jusqu'ici, il a été récompensé par 3 fois 3 étoiles. En 2009 déjà, il avait fermé son Auberge de l'Eridan pour raisons de santé, rendant ainsi les 3 étoiles du restaurant au guide. Affaibli par un accident de ski trois ans plus tôt, le chef au chapeau disait peiner à y maintenir l'excellence. Remis sur pied, il ouvre un nouveau restaurant en 2013, La Maison des bois, où il décroche dès 2018 la 3eme étoile. L'histoire aurait pu s'arrêter là, sauf que pour une sombre histoire de soufflé au fromage, le guide lui retire une étoile en 2019. Outré et se disant en dépression depuis, le chef Veyrat fustige le Michelin, lui intente un procès et veut rendre toutes ses étoiles. Malheureusement pour lui, non seulement il est débouté de son action, mais le guide refuse également de lui reprendre ses macarons tant que son établissement reste ouvert. Affaire à suivre donc.
Sébastien Bras
Pour le chef Sébastien Bras, c'est clair : les étoiles du Michelin, c'est beau, ça fait plaisir, mais c'est trop pesant. Après avoir rendu les 3 étoiles de son restaurant Le Suquet en 2017, il n'y va pas par quatre chemins : "Je vais pouvoir me sentir libre" explique-t-il à l'AFP, poursuivant "sans me demander si mes créations vont plaire ou non aux inspecteurs du Michelin". Une décision prise en famille, notamment avec son père le chef plus qu'émérite Michel Bras, et pour laquelle il a reçu le soutien de nombreux confrères. C'était toutefois sans compter le zèle du Guide Michelin qui a fait réapparaître son établissement dans son crû 2019 en le notant… 2 étoiles.
Jérôme Brochot
La même année que Sébastien Bras, le chef Jérôme Brochot prend la décision de rendre sa seule étoile. Une résolution motivée par la grisaille économique que traverse sa région et qui le force à baisser les coûts, et donc à travailler des produits moins haut de gamme, pour sauver son restaurant.
Cyril Lignac
Le chef cuisinier et pâtissier Cyril Lignac, qui avait gagné un macaron en 2012 pour son travail au Quinzième, est le dernier chef en date à quitter le carcan du Guide Michelin. Il ferme son établissement en 2019 en disant vouloir se libérer du système de classement du guide. "À partir du moment où le Michelin te distingue, tu n'es plus chez toi : tu fais la cuisine pour les inspecteurs." affirme-t-il dans le journal Le Monde, en ajoutant "Tu as peur de perdre ton étoile, tu en veux une deuxième."
Désormais, cette révolte contre les règles à sens unique du Guide Michelin touche aussi les chefs des autres pays. En Belgique par exemple, ils sont nombreux à avoir rendu leurs étoiles : Karen Keyngaert, Fredrick Dhooghe ou encore Christophe Van den Berghe. Ils sont rejoints par des chefs suisses ou encore coréens, et tous s'insurgent contre ce qui est pour eux l'imposture de celui qui critique sans comprendre. Ils revendiquent leur liberté de créer et de faire plaisir comme ils l'entendent, sans le poids des obsessions surannées des "manipulateurs de la gastronomie" comme les appelle Marc Veyrat. Cyril Lignac, lui, y va plus simplement : "Je trouve que leur système ne tourne pas rond" lance-t-il, "C'est quoi, les règles du jeu ?" Peut-être est-ce le moment pour le petit guide rouge de revoir son système afin que chefs, clients et critiques s'y retrouvent à nouveau ?