La crêpe sans dessus-dessous

Si vous aimez les galettes, les vraies, les bretonnes, faites avec de la farine de sarrasin et beaucoup d'amour, vous avez probablement remarqué, vous aussi, cette fâcheuse manie qu'ont certaines crêperies de ne plus garnir la fameuse crêpe.

Dorénavant, il faudra vous y faire, la galette se sert avec la garniture sur le dessus. Elle se désolidarise. Elle s'embourgeoise. Enfin, pas chez les vrais crêpiers. Car à l'origine, les aliments qui la garnissent sont cuits directement sur la galette. Ils sont donc ensuite tout naturellement servis à l'intérieur, une fois que les bords de la crêpe ont été rabattus.

C'est trop simple pour certains restaurateurs, pensez-vous ? Hélas, c'est tout le contraire. C'est bien plus compliqué. Gérer la cuisson d'un œuf, d'une tranche de jambon et de lamelles de fromage à même la pâte à crêpe, c'est tout un art. C'est un métier qui s'apprend sur le tas autant que sur la galette. Et ça, tout le monde ne peut pas s'en prévaloir.

Car la mode de la bouffe pré-cuite, plus facile, plus rapide et moins coûteuse, a aussi gagné les cuisines des crêperies. Il est désormais courant d'ouvrir une poche en plastique ou une boîte sortie du congélateur pour réchauffer la garniture à part, pendant que la galette frémit sur la crêpière et que la crêpe rissole sur la galetière. Une fois la pâte cuite, on replie alors l'orpheline avant de la cacher sous son accompagnement industriel. Nous passerons sur le fait que certains cuistots peu scrupuleux ne prennent pas non plus la peine de préparer la pâte, la galette étant déjà faite avant d'atterrir sur la plaque pour un réchauffage de dernière minute. Ils ont au moins le mérite de rester sur la même thématique "je réchauffe mais je ne cuisine pas".

Il va sans dire que la garniture, servie sur la crêpe et non à l'intérieur, n'offre pas le même rendu gustatif au plat présenté. Elle n'a pas eu le temps d'imprégner la pâte de ses saveurs, et vice versa, comme un marié qui ne pourrait pas embrasser sa promise. L'alchimie est ratée. On nous dira alors que la technique permet d'être plus généreux sur l'accompagnement, ou encore que le résultat est visuellement plus appétissant. Je reste sceptique sur ces étranges efforts pour améliorer le concept. La vérité, c'est qu'on ne respecte pas la tradition et puis c'est tout.

Les plus doués en matière de galettes parviennent tout à fait à être généreux et créatifs tout en conservant le mode opératoire historique. Une crêpe plus grande, une présentation travaillée, et voilà la galette aussi savoureuse, sublimée, authentique. Dans les règles de l'art.

Publié le 08/10/2012

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